Les équations exactes jouent un rôle important en physique et en génie, puisqu’elles apparaissent souvent dans des contextes où il y a conservation d’une quantité, telle que l’énergie. Dans le contexte d’une équation différentielle ordinaire (EDO) du premier ordre, une équation exacte est associée à une fonction à deux variables, appelée une fonction potentielle . Intuitivement, on peut penser à l’énergie potentielle ou alors au potentiel électrique.
Pour expliquer comment résoudre une équation exacte, on va remonter à la source du problème. Supposons donc que nous avons a une fonction potentielle \(F(x , y)\) et voyons comment émerge l’équation exacte associée.
Pour fixer les idées, considérons l’exemple suivant :
Les lieux d’énergie constante, c’est-à-dire les courbes où l’énergie est conservée, sont les courbes d’équation \(F(x,y) = C\text{,}\) où \(C\) est une constante. Dans notre exemple, ce sont les cercles d’équation \(x^2+y^2=C\text{.}\) Voir la Figure 2.6.1.
Pour la suite, nous utiliserons la notation simplifiée \(F_x = \frac{\partial F}{\partial x}\) et \(F_y = \frac{\partial F}{\partial y}\text{.}\) Dans notre exemple :
En prenant la dérivée totale de chaque côté de l’équation \(F(x,y) = C\text{,}\) on obtient une équation différentielle, \(dF = 0\text{.}\) Cette équation s’écrit de la manière suivante :
\begin{equation}
M \, dx + N \, dy = 0 \qquad \text{ ou } \qquad M + N \, \frac{dy}{dx} = 0\text{,}\tag{2.6.1}
\end{equation}
où \(M=F_x\) et où \(N=F_y\text{.}\) Une équation comme (2.6.1) est dite exacte lorsqu’elle correspond à \(dF = 0\text{,}\) pour une fonction potentielle \(F\text{;}\) autrement dit, lorsqu’on peut trouver une fonction potentielle \(F\) telle que \(F_x=M\) et \(F_y=N\text{.}\) Dans notre exemple, nous obtenons :
L’équation est exacte puisqu’elle a été obtenue en dérivant l’équation \(x^2+y^2=C\text{.}\)
Parfois, on voudra écrire \(y\) comme une fonction de \(x\text{.}\) Dans notre exemple :
\begin{equation*}
y = \pm \sqrt{C^2-x^2}\text{.}
\end{equation*}
Avant de poursuivre le problème de la résolution d’une équation exacte, parlons de son interprétation, à l’aide d’un peu de calcul vectoriel. En général, l’équation (2.6.1) nous donne un vecteur \(\vec{v} = (M,N)\text{,}\) en fait un champ de vecteurs , puisque \(M\) et \(N\) sont des fonctions de \((x,y)\text{.}\) Dans le cas d’une équation exacte, on a une fonction potentielle \(F(x,y)\) telle que :
Ainsi, le champ de vecteurs \(\vec{v}\) est conservatif , ce qui implique des conséquences fondamentales pour le travail en présence d’une force. En effet, soit \(\gamma\) une trajectoire dans le plan (une courbe paramétrée) débutant au point \((x_1,y_1)\) et finissant au point \((x_2,y_2)\text{.}\) Si l’on pense à \(\vec{v}\) comme à un champ de force, alors le travail effectué par cette force le long de la trajectoire \(\gamma\) est :
\begin{equation*}
\int_\gamma \vec{v}(\vec{r}) \cdot d\vec{r} = \int_\gamma M \, dx + N \, dy = F(x_2,y_2) - F(x_1,y_1)\text{.}
\end{equation*}
Autrement dit, lorsque le champ est conservatif, le travail dépend seulement de la valeur de la fonction potentielle aux extrémités de la trajectoire. Si, par exemple, \(F\) est le potentiel gravitationnel, le gradient de \(F\text{,}\)\(\vec{v}\text{,}\) est la force gravitationnelle. Dire que c’est un champ conservatif, c’est dire que le travail requis pour hisser une boîte du rez-de-chaussée au premier étage dépend seulement de la hauteur de l’étage, et non du chemin qu’on prend pour s’y rendre. En particulier, aucun travail n’est effectué lorsque la trajectoire suit une courbe \(F(x,y) = C\text{.}\)
En résumé : une équation différentielle exacte correspond à un champ de vecteurs conservatif, et la solution d’une telle équation est une fonction potentielle de ce champ de vecteurs.
Sous-sectionRésoudre des équations exactes
Vous vous demandez peut-être : où avons-nous résolu une équation différentielle? C’est que, dans les applications, on connaît \(M\) et \(N\text{,}\) qui sont les dérivées partielles de \(F\text{,}\) mais \(F\) elle-même est inconnue. Si, par exemple, on commence avec \(2x + 2y \frac{dy}{dx} = 0\) ou encore avec
\begin{equation*}
x + y \frac{dy}{dx} = 0\text{,}
\end{equation*}
il faut trouver une fonction potentielle \(F\) associée à cette équation. Il y a un nombre infini de \(F\) possibles, puisque la fonction potentielle est seulement définie à une constante près. Une fois trouvée \(F\text{,}\) la solution implicite à l’équation différentielle sera :
Trouvons la solution générale pour \(2x + 2y \frac{dy}{dx} = 0\) (nous ferons semblant que nous avons oublié ce qu’est \(F\)).
Si l’on sait déjà que l’équation est exacte, on cherche une fonction potentielle \(F\) pour l’équation. On a que \(M = 2x\) et \(N=2y\text{.}\) Donc, si \(F\) existe, on a nécessairement que \(F_x (x,y) = 2x\text{.}\) On intègre par rapport à \(x\) et l’on obtient :
où \(A(y)\) est une fonction arbitraire. La fonction \(A\) est la constante d’intégration : elle est seulement constante par rapport à \(x\text{,}\) mais elle peut dépendre de \(y\text{.}\) Ensuite, on dérive (2.6.2) par rapport à \(y\) et l’on met le résultat égal à \(N\text{,}\) autrement dit \(F_y\) :
En intégrant, on trouve \(A(y) = y^2\text{.}\) Il n’est pas nécessaire ici d’ajouter une constante d’intégration (voir l’exercice). Nous avons donc trouvé \(F(x,y) = x^2+y^2\text{.}\) Il ne reste qu’à résoudre pour \(y\text{,}\) en fonction de \(x\text{,}\) dans l’équation suivante :
où \(C\) est une constante arbitraire. Dans notre cas, nous obtenons \(y = \pm \sqrt{C^2-x^2}\text{,}\) comme plus haut.
Exercice2.6.3.
Pourquoi n’a-t-on pas besoin d’ajouter une constante d’intégration lorsqu’on intègre \(A'(y) = 2y\text{?}\) Ajoutez une constante d’intégration, disons 3, et observez la fonction \(F\) obtenue. Comparez à la réponse plus haut. Pourquoi la différence n’est-elle pas importante?
Lorsqu’on sait que l’équation différentielle est exacte, la démarche est donc :
Intégrer \(F_x = M\) par rapport à \(x\) pour obtenir \(F(x, y) = \text{ quelque chose } + A(y)\text{.}\)
Dériver cette expression pour \(F\) par rapport à \(y\) et mettre le résultat égal à \(N\text{,}\) afin de déterminer \(A(y)\) en intégrant.
Autrement, on peut d’abord dériver par rapport à \(y\) et ensuite par rapport à \(x\text{.}\) Voyons un autre exemple.
Donc, \(M = 2x+y\) et \(N=xy\text{.}\) On applique la démarche. Si l’on suppose qu’une fonction potentielle \(F\) existe pour l’équation, alors \(F_x (x,y) = 2x+y\text{.}\) On intègre :
où \(A(y)\) est une fonction quelconque. On dérive par rapport à \(y\) et l’on met le résultat égal à \(N\) :
\begin{equation*}
N = xy = F_y (x,y) = x+A'(y)\text{.}
\end{equation*}
On a obtenu une équation impossible à résoudre. En effet, on ne peut pas écrire \(xy\) comme \(x\) plus une fonction de \(y\text{.}\) Conclusion : l’équation différentielle n’admet pas de fonction potentielle et elle n’est donc pas exacte.
Pouvait-on arriver à cette conclusion sans faire tous ces calculs? En fait, oui. Supposons en effet que \(M = F_x\) et que \(N = F_y\text{.}\) Si les dérivées secondes sont continues, on a forcément que les dérivées mixtes s’interchangent :
Si \(M\) et \(N\) sont des fonctions continûment différentiables de \((x, y)\) et que \(\frac{\partial M}{\partial y} = \frac{\partial N}{\partial x}\text{,}\) alors il existe une fonction \(F(x,y)\text{,}\) définie localement, telle que \(M = \frac{\partial F}{\partial x}\) et \(N = \frac{\partial F}{\partial y}\text{.}\)
Le théorème affirme l’existence d’une fonction \(F\) définie localement, ce qui veut dire, grosso modo, qu’on n’aura pas une fonction définie partout, mais possiblement définie seulement dans une petite région contenant le point initial.
Retournons à notre exemple précédent : \(M = 2x + y\) et \(N = xy\text{.}\) On note que \(M_y = 1\) et que \(N_x = y\text{.}\) Les deux expressions ne sont pas égales, et donc l’équation différentielle n’est pas exacte.
On dérive par rapport à \(y\) et l’on met le résultat égal à \(N\) :
\begin{equation*}
x-1 = x + A'(y)\text{.}
\end{equation*}
Donc, \(A'(y) = -1\text{,}\) et l’on peut prendre \(A(y) = -y\text{.}\) Ceci donne \(F(x, y) = x^2+xy-y\text{.}\) Nous obtenons ainsi la solution générale à l’équation, sous forme implicite :
On calcule maintenant la valeur de \(C\) : puisque \(y(0)=1\text{,}\) on a que \(F(0,1) = C\text{.}\) Donc, \(0^2+0\times 1 - 1 = C\text{,}\) et \(C=-1\text{.}\) En dernier lieu, on isole le \(y\) dans l’expression (puisque c’est possible) pour obtenir une solution explicite :
\begin{equation*}
y = \frac{-x^2-1}{x-1}\text{.}
\end{equation*}
D’abord, on laisse en exercice la vérification que \(M_y = N_x\text{.}\)
La condition d’exactitude est vérifiée; pourtant, le champ de vecteurs \((M,N)\) n’est pas conservatif, lorsque considéré sur tout le plan moins l’origine. Le problème est en fait à l’origine \((0,0)\text{,}\) point où le champ de vecteurs n’est pas défini. Prenons, par exemple, une courbe \(\gamma\) qui encercle l’origine, disons qu’elle part du point \((1,0)\) et y retourne par un chemin dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Si une fonction potentielle \(F\) existe, on obtiendrait alors :
Bien entendu, c’est impossible (le calcul de l’intégrale de ligne est laissé en exercice; vous pouvez aussi consulter votre manuel de calcul à plusieurs variables). Ainsi, cette équation différentielle n’admet pas de fonction potentielle définie sur tout le plan moins \((0,0)\text{.}\)
Ceci ne contredit pas le lemme de Poincaré. Notez que l’énoncé du théorème garantit seulement l’existence d’une fonction potentielle définie localement, c’est-à-dire dans un voisinage du point de départ. Dans notre exemple, puisque \(y(1) = 2\text{,}\) le point de départ est \((1,2)\text{.}\) En considérant le cas où \(x > 0\) et en intégrant \(M\) par rapport à \(x\text{,}\) ou \(N\) par rapport à \(y\text{,}\) on trouve :
La solution implicite est \(\operatorname{arctan} \bigl( \nicefrac{y}{x} \bigr) = C\text{.}\) En isolant \(y\text{,}\) on obtient \(y = \tan(C) x\text{.}\) Autrement dit, la solution est une droite. Poser \(y(1) = 2\) nous donne \(\tan(C) = 2\text{,}\) et donc \(y= 2x\) est la solution désirée. Voir la Figure 2.6.8, en notant que la solution est seulement définie pour \(x > 0\text{.}\)
Par conséquent, \(A'(y) = 2y\) ou \(A(y) = y^2\text{,}\) et \(F(x,y) = \frac{1}{3}x^3 + xy^2 + y^2\text{.}\) Maintenant, on tente d’isoler le \(y\) dans l’expression \(F(x,y) = C\text{.}\) On peut mettre \(y^2\) en évidence et ensuite prendre la racine carrée :
\begin{equation*}
y^2 = \frac{C-(\nicefrac{1}{3})x^3}{x+1},\qquad \text{ donc } \qquad y = \pm \sqrt{\frac{C-(\nicefrac{1}{3})x^3}{x+1}}\text{.}
\end{equation*}
Observons que lorsque \(x=-1\text{,}\) le coefficient de \(\frac{dy}{dx}\) s’annule. On voit aussi que la solution obtenue n’est pas définie en \(x=-1\text{.}\) On pourrait essayer de résoudre pour \(x\) en fonction de \(y\) dans la solution implicite \(\frac{1}{3}x^3 + xy^2 + y^2 = C\text{.}\) La solution dans ce cas n’est pas très jolie; il vaut mieux laisser la solution sous forme implicite.
ExercicesExercices
1.
Résolvez les équations exactes suivantes, en laissant la solution sous forme implicite.
Supposons qu’on a une équation différentielle de la forme suivante : \(f(x) + g(y) \frac{dy}{dx} = 0\text{.}\)
Montrez que l’équation est exacte.
Trouvez une expression pour le potentiel en fonction de \(f\) et \(g\text{.}\)
3.
Supposons qu’on a l’équation suivante : \(f(x) \, dx - dy = 0\text{.}\)
L’équation est-elle exacte?
Exprimez la solution générale à l’aide d’une intégrale définie.
4.
Trouvez une fonction potentielle \(F(x,y)\) pour l’équation exacte \(\frac{1+xy}{x}\, dx + \bigl(\nicefrac{1}{y} + x \bigr) \, dy = 0\) de deux manières différentes.
Intégrez \(M\) par rapport à \(x\text{,}\) dérivez par rapport à \(y\) et mettez le résultat égal à \(N\text{.}\)
Intégrez \(N\) par rapport à \(y\text{,}\) dérivez par rapport à \(x\) et mettez le résultat égal à \(M\text{.}\)
5.
Une fonction \(u(x,y)\) est appelée une fonction harmonique si \(u_{xx} + u_{yy} = 0\text{.}\)
Montrez que \(-u_y \, dx + u_x \, dy = 0\) est une équation exacte. Par conséquent, il existe (au moins localement) une fonction appelée la conjuguée harmonique, \(v(x,y)\text{,}\) telle que \(v_x = -u_y\) et \(v_y = u_x\text{.}\)
Montrez que les \(u\) suivantes sont harmoniques et trouvez leur conjuguée harmonique \(v\) :
\(\displaystyle u = 2xy\)
\(\displaystyle u = e^x \cos y\)
\(\displaystyle u = x^3-3xy^2\)
6.
Résolvez les équations exactes suivantes, en laissant la solution sous forme implicite :
\(\displaystyle (3x^2+3y)\,dx + (3y^2+3x)\, dy = 0\)
Réponse.
a) \(e^{xy}+\sin(x)=C\) b) \(x^2+xy-2y^2=C\) c) \(e^x+e^y=C\) d) \(x^3 + 3xy+ y^3 = C\)
7.
Montrez que toute équation séparable \(y' = f(x)g(y)\) peut être écrite sous forme exacte, et vérifiez qu’elle est bien exacte.
Utilisez ceci pour écrire \(y' = xy\) comme une équation exacte, résolvez l’équation et vérifiez que la solution obtenue est la même que dans l’Exemple 2.3.1.
Réponse.
a) L’équation est \(- f(x) \, dx + \frac{1}{g(y)} \, dy\text{,}\) elle est exacte puisque \(M = -f(x)\text{,}\)\(N = \frac{1}{g(y)}\text{,}\) donc \(M_y = 0 = N_x\text{.}\) b) \(-x \, dx + \frac{1}{y} \, dy = 0\text{,}\) ce qui donne la fonction potentielle \(F(x,y) = -\frac{x^2}{2} + \ln \lvert y \rvert\text{,}\) on résout \(F(x,y) = C\) et la solution obtenue est la même que dans l’exemple.